Il peut s'avérer pratique d’installer des caméras de surveillance dans des immeubles résidentiels pour détecter le vandalisme et accroître la sécurité des locataires. Cela peut même être vu comme un service supplémentaire étant une plus-value pour les locataires.
Toutefois, les lois obligent les entreprises, et par le fait même les propriétaires d'immeubles à revenus, à restreindre leur utilisation de caméras pour des fins de surveillance. Cette limite est bien souvent le droit de chacun au respect de sa vie privée et donc de vivre à l'abri du regard de tous et chacun. Cette limite n'est pas toujours taillée au couteau, le concept de vie privée restant flou et en conséquence il faut donc faire preuve de jugement. Il n'est donc pas possible d'utiliser la surveillance par caméras à tout-va.
La Charte des droits et libertés de la personne est claire à son article 5:
« 5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée. »
Certaines dispositions du Code civil du Québec traitent également de la question :
« 35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise.
36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants:
1° Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;
2° Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;
3° Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve dans des lieux privés;
4° Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;
5° Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l'information légitime du public;
6° Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels. »
Il faut effectivement se demander à prime abord si d'autres moyens sont possibles pour répondre à nos besoins plutôt que l'installation d'un système de caméras.
Du côté des jugements, il a été reconnu qu'il est possible d'utiliser des caméras de surveillance, uniquement dans l'optique où l'utilisation est raisonnable et répond à des motifs légitimes (1). Ainsi, il y a été mentionné que la notion de lieux privés est relative et dépend de l'attente raisonnable de protection de la vie privée qu'on peut entretenir à l'égard d'un lieu en particulier. En effet, on ne peut raisonnablement s'attendre, lorsqu'on circule dans des endroits comme sur sa pelouse, dans le stationnement d'un centre commercial, au même degré de protection de sa vie privée que lorsqu'on est dans sa résidence privée ou dans une chambre d'hôtel dont la porte est close.
Les enregistrements pourraient aussi être utilisés en preuve, dépendamment de la situation : Dans une décision (2) où le locataire prétendait à une preuve obtenue illégalement alors qu'un autre locataire avait filmé les entrées de personnes dans l'immeuble par la porte principale et commune, il a été décidé que cette preuve ne violait pas le droit à la vie privée, car les personnes ont été filmées alors qu'elles marchaient sur le trottoir public ou dans l'entrée extérieure de l'immeuble, donc dans un lieu accessible à tout individu :
« En cela, le Tribunal partage l'opinion exprimée par la Régie dans l'affaire Gestion Le Cours St-Pierre c. Bélisle, alors qu'il s'agissait pareillement de déterminer si des films réalisés alors que des gens marchaient dans les espaces communs de l'immeuble ou empruntaient les ascenseurs portaient atteinte à leur vie privée. »
Dans une autre décision plus récente (3), une locataire voulait mettre en preuve un film fait lors d'une conversation entre la locataire et le locateur alors que ce dernier était sur son balcon. Cette vidéo a été acceptée en preuve :
« 12 Quant aux enregistrements vidéo, la Cour d’appel du Québec a déjà décidé que l'enregistrement qui fait voir des gestes qui n'appartiennent pas à la vie privée est recevable.
13 De plus, il a déjà été décidé qu’une conversation enregistrée entre gens ayant une relation d’affaires est recevable, s’il y a litige quant à ces affaires.
14 Enfin, dans le cas qui nous occupe l’expectative de vie privée du locateur n’était pas grande sur son balcon, puisqu’il pouvait être vu par n’importe qui. Il n’y a donc pas de preuve d’atteinte à la vie privée du locateur et l’enregistrement est recevable.»
D'autre part, il est tout à fait clair qu'un enregistrement d'une façon quelconque de conversations se tenant dans un logement voisin, alors que l’on se trouve dans notre logement et impliquant par ailleurs que toutes les conversations ont pu être enregistrées et non seulement les conversations pertinentes au litige, est considéré comme allant à l’encontre du respect de la vie privée et que son utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice (4). Des enregistrements ne doivent pas non plus servir à suivre ou épier une personne en particulier.
Voici des lignes directrices élaborées par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada afin de réduire les incidences au maximum sur la vie privée (5):
Dix choses à faire lorsqu’on envisage ou qu’on planifie de recourir à la surveillance vidéo, ou qu’on l’utilise déjà :
1. Se demander si un moyen portant moins atteinte à la vie privée que la surveillance vidéo pourrait répondre à nos besoins.
2. Déterminer les fins opérationnelles de la surveillance vidéo et limiter son utilisation à ces fins.
3. Élaborer une politique sur l’utilisation de la surveillance vidéo.
4. Limiter autant que possible l’utilisation et la portée visuelle des caméras.
5. Informer le public que l’on effectue une surveillance vidéo.
6. Entreposer toutes les images enregistrées dans un lieu sûr et d’accès restreint, et les détruire lorsqu’elles n’ont plus d’utilité opérationnelle.
7. Se préparer à répondre aux questions du public. Les personnes ont le droit de savoir qui les observe et pourquoi, quelle information est recueillie, et ce que l’on fait des images enregistrées.
8. Offrir aux personnes l’accès aux renseignements les concernant. Cela comprend les images vidéo.
9. Sensibiliser les opérateurs de caméra à l’obligation de protéger la vie privée des gens.
10. Évaluer périodiquement la nécessité d’utiliser la surveillance vidéo.
Nous conseillons en conséquence d'être toujours prudent avant l'utilisation d'un système de caméras, de ne les placer que de façon à viser les aires communes, soit les corridors et entrées communs, le stationnement, mais que celles-ci ne soient jamais dirigées vers la porte d'entrée personnelle d'un locataire en particulier, ou de ses fenêtres de logement. Si l'intention des caméras est d'assurer la sécurité des lieux, cela ne devrait en conséquence servir qu'à cet usage et ne pas être utilisé pour suivre les déplacements des locataires.
(1) 1999 RJQ 2229 (Dossier : 500-09-001456-953).
(2) Les habitations communautaires Côte des Neiges c. Rosa-Danelia Zamora De Quintero, R.L. (2002).
(3) 2013 QCRDL 23590, (31 120802 070 S 130502).
(4) 2010 QCRDL 8404 (37 090402 013 G 37 090723 016 G).
(5)http://www.priv.gc.ca/information/guide/2008/gl_vs_080306_f.asp